Portraits d'entrepreneurs : Emanuele Ravano, CEO d'IFCHOR

30 avr. 2019

Découvrez Emanuele Ravano, CEO d’IFCHOR, dans le premier portrait de notre série « Portraits d’entrepreneurs » qui donne la parole aux entrepreneurs romands. Dans son entretien, Emanuele Ravano nous parle de ses expériences et des défis qu'il rencontre à la tête de l'entreprise de courtage dont il a repris les rênes en 2012.

Emanuele Ravano a fait des études en Relations Internationales à l’Université de Genève. Tout d’abord skieur d’élite, il entre ensuite dans le shipping au sein de l’entreprise familiale, attiré par la dimension internationale de cette activité. Après quelques mois dans le domaine du back office, il devient courtier et effectue de nombreuses transactions avec succès. Il est encore à ce jour en charge des bateaux Capesize. En 2009, Emanuele commence à s'occuper de la gestion de la société avec son père. Il devient formellement CEO en 2012, mais son père reste incontournable pour la gestion du groupe IFCHOR. Emanuele le sollicite régulièrement et la longue expérience de son père est un atout incontestable lorsqu’il s’agit de prendre des décisions difficiles : « Il est plus analytique et plus apte à garder la tête froide que moi, même si ma fougue a été porteuse, notamment pour apporter des nouveaux créneaux commerciaux à l’entreprise ». Afin de préparer son entreprise aux futurs défis, Emanuele cherche à développer ses compétences en management, tout particulièrement en s’intéressant aux « new ways of thinking » et au change management. Alors qu’en 2004, IFCHOR avait un siège unique à Lausanne, elle compte aujourd’hui des succursales dans 12 pays, dont Singapour, New York, Dubaï, Melbourne ou Copenhague.

Quel est le cœur d’activité d’IFCHOR ?

IFCHOR a une activité de courtage d’affrètement et d’achat-vente de bateaux. La société a été fondée en 1977 par mon père, Riccardo Ravano, un armateur originaire de Gênes qui a décidé de vendre ses bateaux et de se consacrer au courtage depuis la Suisse.

Comment IFCHOR se démarque-t-elle de la concurrence ?

Nous nous différencions de nos concurrents en valorisant nos courtiers et en les encourageant à donner un avis tranché à nos clients. Nous allons au-delà du courtage transactionnel, pour déboucher sur du conseil. Nous essayons de transmettre cette approche à tous nos courtiers. IFCHOR est une entreprise familiale qui fait du courtage dans le domaine du shipping, qui conseille à travers une approche traditionnelle et moderne avec le « voice-broking », ce qui veut dire que nous parlons directement avec nos clients pour négocier les prix, et les différents termes techniques et commerciaux pour finalement faciliter le déroulement des affaires. Nous comprenons donc que les décisions prises au nom de nos clients sont cruciales pour eux. Pour nous, la qualité des transactions que nous effectuons prime sur le reste. Chez IFCHOR, nous cherchons à construire une relation client de confiance sur le long terme.

Quels sont, selon vous, les principaux défis qu’IFCHOR devra affronter dans les années à venir ?

Les algorithmes commencent à apparaître dans le métier. Notre rôle est donc de faciliter le processus de prise de décision pour nos clients. A cause de la technologie, les choses sont réduites au transactionnel. Alors que le relationnel et l’advisory sont très importants dans notre activité. La difficulté est de convaincre notre client qu’il fait le bon choix, même si la transaction lui est moins profitable, mais moins risquée aussi.

IFCHOR est une entreprise familiale, quels sont les impacts de votre gouvernance et de votre actionnariat sur la gestion de votre entreprise ?

En termes de Family Business, IFCHOR a beaucoup évolué du point de vue de la gouvernance. En octobre 2018, nous avons achevé une réorganisation de la structure de la société. Pendant 30 ans, la structure était plus simple et organisée autour de mon père et ses associés. Mon père est un très bon père de famille et un excellent entrepreneur – ce qui va sûrement de pair – et il s’est démarqué par sa quête du juste, il a toujours essayé de prendre les bonnes décisions. Tout était décidé en fonction de son influence, et il ne voulait pas prendre de décisions qui risquaient de froisser. Il a constamment fait attention à ne pas se faire des ennemis et a toujours aidé tous ceux qui en avaient besoin. Mon père avait des associés historiques qui ont maintenant revendu leurs parts, elles-mêmes transmises à un groupe de « key people ». Ces « key people » partagent, comme le noyau de la famille, une vision à long terme, et ils sont consultés au sujet du développement de l’entreprise. Au-dessus du groupe, il y a la holding familiale. IFCHOR a instauré une convention d’actionnaires. Notre famille a toujours le contrôle mais la convention permet aux autres actionnaires d’avoir leur mot à dire. En 2018, la réorganisation du groupe a été une étape cruciale pour l’entreprise. En 2019, il s’agira de consolider les synergies, d’intégrer davantage les « key people » et d’établir des bases solides et claires.

Comment le thème de la succession a-t-il été abordé par le passé au sein de votre entreprise ?

J’ai trois frères, et je suis le seul qui travaille au sein de l’entreprise familiale, même si mes deux grands frères sont également actifs dans le commodity business et me donnent régulièrement des conseils pour la gestion et la stratégie. Ils ont débuté au sein d’IFCHOR, avant d’être recrutés par des clients. Ils ont maintenant des positions managériales dans ces sociétés. Mon plus jeune frère, quant à lui, fait un Ph. D. en histoire des relations internationales et va probablement faire carrière dans le milieu académique, mais lui aussi est au courant du déroulement de l’activité et est précieux dans ses conseils. Notre père nous a vendu l’ensemble de ses parts. Les bénéfices qui reviennent à la holding familiale sont moindres que les bénéfices reversés à l’ensemble de la ‘force travail’ de l’entreprise, car on pense que celle-ci représente l’actif le plus important sur lequel la société doit investir. Donc la famille détient une part moindre du groupe, mais le but est que ce groupe devienne encore plus grand.

Quel est votre style de management ?

En tant que courtier, je me dois d’être plus émotionnel, alors qu’en tant que manager, il faut que je sois plus calme et froid. J’ai tenu à garder ma fonction de courtier, en plus de mes responsabilités de dirigeant. D’un point de vue de la prise de décision je tends à implémenter un leadership consensuel où les décisions sont mûries avec certains key people et la famille bien sûr. IFCHOR a historiquement toujours fait preuve d’une certaine sensibilité à l’égard de ses employés. Nous leur facilitons la vie si besoin, et le fait d’avoir son argent investi dans la société fait une grande différence, les décisions et les attentes ne sont en effet pas les mêmes que dans des multinationales. IFCHOR est capable de mettre de l’argent sur la table pendant les mauvaises années et au contraire de faire des réserves pendant les meilleures.

Quelles sont les valeurs qu’IFCHOR essaie d’insuffler à ses collaborateurs ?

Nous avons un ethics code, afin de permettre à nos collaborateurs de comprendre ce que nous attendons d’eux. Pour IFCHOR, l’engagement et la loyauté – au client et à la société – sont centraux. Le turnover est assez bas, et je pense qu’il y a un sentiment d’attachement des collaborateurs envers la société. A nos yeux, une autre valeur importante est d’être juste dans ses choix et ses comportements : nous cherchons une certaine droiture dans nos relations. En tant que courtiers, nous devons être « street smart », en même temps nous attendons de nos collègues qu’ils soient droits et qu’ils évitent les conflits d’intérêt. Enfin, il s’agit aussi d’être respectueux avec autrui et très exigeants avec soi-même, « Good is not good enough », nous cherchons toujours à améliorer les choses. J’ai personnellement un niveau de satisfaction souvent faible, mais je pense que c’est un atout dans une PME comme IFCHOR qui détient un énorme potentiel de développement.

Perspectives sur l’Industrie et les défis à venir

Au niveau maritime, nous observons chez nos clients une tendance à l’expansion et à la sophistication. Ils sont également plus sensibles aux enjeux de compliance, même si la réglementation dans le secteur maritime n’est pas excessive. Il y a donc une tendance générale vers des marchés plus organisés. Cependant, ces tendances ne sont pas valables pour les petits clients, et le marché du shipping continue à attirer des investissements importants. Au niveau des marchés, nous sommes relativement optimistes pour les deux prochaines années à moins de chocs externes, les fondamentaux sont bons. On peut s’attendre à un effet de surinvestissement en 2020, puis une baisse en 2023.

Les défis à venir se situent incontestablement au niveau de la technologie, la diffusion d’information et la consolidation des marchés. Aider les clients à faire des choix sera de plus en plus difficile, car ils détiennent parfois plus d’informations que nous. Il faudra donc optimiser l’utilisation des données. La transformation digitale est très importante dans le secteur et le rôle du courtier multidimensionnel. Le relationnel commercial est capital, mais il y a également de nombreux aspects ayant trait à la logistique et à l’exécution. L’interaction humaine reste donc nécessaire. Le courtier ne sera pas remplacé par quelques clics. Le rapport humain reste essentiel pour nos clients, lesquels ont besoin de faire des choix intuitifs, sur la base de ce qu’achètent d’autres personnes et à quel prix, et cette intuition, c’est le courtier qui la transmet. Selon moi, le shipping ne pourra donc jamais être digitalisé à 100%. La partie commerciale est basée sur le relationnel et je ne vois pas la blockchain avoir un impact sur cet aspect. En revanche, en termes de logistique et d’exécution, il est clair que les transactions vont devenir de plus en plus automatisées.

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Didier Ehret

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Partner, Leader Family Business and SME in Romandie, PwC Switzerland

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Marcello Stimato

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Director, Audit, PwC Switzerland