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ORAb: apprendre des expériences

Jose Marques
Associé, Conseil fiscal et juridique

La mise en œuvre de l’Ordonnance contre les rémunérations abusives (ORAb) avance bien. Cet article vous présente les principales expériences faites dans la pratique et vous découvrirez aussi pourquoi un système de «say-on-pay» équilibré renforce la création de valeur d’une entreprise.

Des assemblées générales plus complètes

L’élargissement des droits des actionnaires et l’application de l’ORAb nous amènent à faire un constat majeur bien que peu surprenant: le nombre de points à l’ordre du jour des assemblées générales (AG) a nettement augmenté (Figure 1). L’ordre du jour moyen d’une AG est environ deux fois plus long que les années précédentes. Cette augmentation est liée à l’élection annuelle des membres du conseil d’administration et de son président, à l’élection individuelle des membres du comité de rémunération ainsi qu’aux votes sur les rémunérations («say-on-pay»). [1]

[1] Ensemble des mécanismes permettant aux actionnaires de participer à la détermination de la rémunération des organes suprêmes d’une entreprise. Dans de nombreux pays, les actionnaires votent soit sur le rapport de rémunération, soit sur le système de rémunération. A contrario, en Suisse, le vote porte sur les montants de la rémunération.

Dans ce nouveau contexte, trois groupes doivent faire face à plus d’exigences:

  1. tous les actionnaires qui souhaitent ou sont obligés d’exercer leurs droits de vote (comme par exemple les caisses de pension suisses pour les sujets concernant l’ORAb);
  2. les entreprises, qui sont tenues de fournir les informations importantes;
  3. les intermédiaires de l’information, comme les agences de conseil en vote («proxy advisors») [2], qui doivent bien justifier leurs recommandations.

[2] Organisations qui conseillent notamment les actionnaires institutionnels (caisses de pension, asset managers, etc.) dans l’exercice de leurs droits de vote. L’actionnaire conserve son droit de vote, et les agences de conseil en vote ne sont pas des titulaires de procuration. Ethos, Glass Lewis, ISS, SWIPRA et zRating en sont des exemples connus.


Figure 1: Nombre moyen de points à l’ordre du jour des assemblées générales des sociétés du SPI® entre 2010 et 2015

Élection du comité de rémunération et «say-on-pay»

Désormais, les actionnaires ne déterminent pas seulement la rémunération proprement dite, mais aussi la composition du comité de rémunération. Cette nouveauté a en principe un effet positif sur la réputation des membres de ce comité. L’organe de révision contrôle maintenant séparément le rapport de rémunération. Les actionnaires sont de plus en plus sensibles aux doubles mandats exercés à la fois au sein du comité de rémunération et du comité d’audit. En effet, si ces chevauchements facilitent le flux d’information, ils comportent néanmoins le risque d’un manque d’indépendance. Les entreprises devraient donc décrire pour les doubles mandats comment elles remédient aux éventuels conflits d’intérêts.

Une attention particulière est accordée aux points de l’ordre du jour qui portent sur le «say-on-pay» proprement dit. Comme nous l’expliquons ci-après, il existe un lien étroit entre le rapport de rémunération et les documents qui concernent les votes obligatoires sur la rémunération et qui sont joints à l’invitation à l’AG. Pour la rémunération du conseil d’administration, un vote a généralement lieu à chaque AG (mais la communication de la rémunération se fait comme jusqu’à maintenant pour l’exercice). En revanche, les systèmes de vote choisis pour la rémunération de la direction sont très divers. Environ deux tiers des entreprises ont adopté une approche purement prospective, tandis [3] qu’un tiers fait voter selon une forme mixte.

[3] Pour les éléments de rémunération attribués au cours de l’année civile de l’AG, le terme de vote prospectif n’est pas précis. Il est cependant devenu courant dans la pratique de qualifier de prospectifs tous les votes qui ne sont pas rétrospectifs.


Figure 2: Modes de vote choisis pour le «say-on-pay» dans les sociétés du SPI® de la SIX Swiss Exchange

La famille du SPI englobe différents indices boursiers, et l’univers de titres sous-jacent contient environ 230 titres de participation. Les segments SPI® Large et SPI® Mid-Cap regroupent les entreprises à capitalisation moyenne ou élevée.

Dans les formes mixtes, le vote sur la prime est généralement rétrospectif (Short Term Incentives ou STI) [4]. Plusieurs variantes existent en revanche pour le vote sur les Long Term Incentives (LTI) [5]. La figure 3 représente un système dans lequel, lors de l’AG de l’année t, sont votés le salaire fixe de l’année t + 1, le LTI de l’année t et le STI de l’année t - 1.

[4] Terme technique désignant la rémunération variable de la performance de l’année précédente. Les entreprises associent la rémunération variable à différents facteurs. D’une part, la distinction doit être faite entre les objectifs quantitatifs et qualitatifs. D’autre part, certaines entreprises calculent le STI d’après une formule, tandis que d’autres confient (en partie) cette tâche au comité de rémunération.

[5] Ce terme désigne une rémunération basée sur des actions. Elle peut se faire sous forme d’actions, d’options, d’actions de performance, d’actions gratuites restreintes (Restricted Stock Units RSU), etc. Les actions de performance ne deviennent la propriété du manager que lorsque certaines conditions de performance sont remplies. Pour les RSU, les actions sont transférées aux participants au terme de la période de blocage. Certaines entreprises octroient des éléments de LTI indépendamment de la performance de l’année précédente, et c’est ce qui se rapproche le plus de l’idée initiale des LTI. D’autres paient la prime pour l’année précédente en partie sous forme de LTI, ce qui conduit à mélanger une prime axée sur le passé avec des incitations tournées vers l’avenir.

Autre constat-clé: il n’existe pas de pratique uniforme. Plusieurs méthodes peuvent s’avérer appropriées selon le système et la philosophie de rémunération et la structure de propriété. De fait, les différents systèmes de vote requièrent différentes approches de communication dans l’entreprise. [6]

[6] Executive Compensation & Corporate Governance: Insights 2014

Mise à disposition des informations pour les votes «say-on-pay» rétrospectifs et prospectifs

Besoins en informations pour le «say-on-pay»

Dans le cadre de notre série «Compensation Committee Luncheon», nous nous entretenons régulièrement avec des entreprises, des investisseurs et des agences de conseil en vote. Il ressort de ce dialogue et de notre expérience des assemblées générales 2014 et 2015, que trois questions sont essentielles pour les éléments de vote rétrospectifs:

  1. Le montant proposé est-il compréhensible et exhaustif?
  2. Le rapport entre le salaire et la performance est-il expliqué concrètement? Ce qui revient à dire: existe-t-il une justification basée sur la performance pour les montants proposés, et qui est également en rapport avec les montants payés au cours de la période de référence précédente?
  3. Si le système ne se limite pas à une simple formule, la méthode de détermination des primes est-elle claire?

La figure 3 décrit deux manières de mettre des informations à la disposition des actionnaires (possible de recourir à des formes mixtes).

Les trois flèches orange clair désignent des éléments de rémunération dont les actionnaires seront informés en détail dès l’AG de 2015. Le rapport de rémunération est, par essence, un vecteur d’information particulièrement important en cas de votes rétrospectifs puisqu’il porte sur la période du vote. Mais son rôle ne sera pas moins important à maints égards lorsqu’il s’agira de prendre position de manière prospective sur des éléments de rémunération. Pour le vote sur l’octroi de la rémunération, il ne suffit pas de décrire l’ancien système de rémunération. Les actionnaires ont besoin, soit d’être informés que le système de rémunération (et son ajustement) restera le même au cours de la période cible du vote prospectif, soit d’avoir une explication sur le fonctionnement du système à venir. Ces informations orientées sur l’avenir peuvent aussi être présentées dans les documents soumis à l’AG.

Les trois flèches orange foncé se rapportent à des informations dont les actionnaires savent (ou espèrent), lors de l’AG 2015, qu’elles paraîtront dans les futurs rapports de rémunération ou dans les documents soumis à l’AG. Une entreprise peut aussi promettre aux actionnaires que les futurs rapports de rémunération contiendront tous les détails nécessaires. Cette promesse sera d’autant plus crédible si l’entreprise accepte que les futurs rapports soient soumis à un vote consultatif.


Pour les éléments de rémunération soumis à un vote prospectif, des questions-clés se posent aux entreprises, investisseurs et agences de conseil en vote:

  1. Le montant proposé est-il compréhensible et exhaustif?
  2. Le plafond envisagé est-il comparé avec cohérence (c’est-à-dire de manière équivalente) avec la rémunération actuelle de la période de référence précédente?
  3. Si la rémunération diffère intégralement ou en partie de celle de la période de référence précédente, cet écart est-il correctement justifié?
  4. Les actionnaires connaissent-ils la répartition du montant global dans les différents éléments de rémunération?
  5. La proposition fait-elle ressortir pourquoi le système et les montants proposés sont considérés comme appropriés?
  6. Pour les plans d’intéressement variables: les mécanismes des STI et LTI sont-ils compréhensibles? Les actionnaires savent-ils comment créer des incitations pour le management?
  7. Pour les LTI: les actionnaires savent-ils si les distributions effectives seront communiquées dans les futurs rapports de rémunération?
  8. La procédure de rémunération des membres de la direction est-elle claire?

La question 7 montre par exemple que le vote lors de l’AG de l’année t et le reporting dans les rapports de rémunération suivants sont étroitement liés. Plus l’entreprise donne aux actionnaires la possibilité de s’exprimer sur l’utilisation du budget adopté prospectivement (flèches grises de la figure 3) dans le cadre d’un futur vote consultatif sur le rapport de rémunération, plus ils seront enclins à donner leur accord [7]. Les actionnaires et les agences de conseil en vote souhaitent également savoir si l’entreprise va communiquer la future réalisation des objectifs des plans de LTI ainsi que le transfert d’actions aux managers.

[7] Assurances sociales: L’ORAb pose une difficulté particulière pour les cotisations à l’assurance sociale. L’impossibilité de déterminer précisément ces montants pour les plans de LTI avec le vesting impose de recourir à des estimations. De plus, il y avait de grandes divergences pour les cotisations des employeurs qui peuvent représenter une part importante. Quelle que soit l’interprétation juridique correcte: au final, les actionnaires veulent connaître les coûts réels de la rémunération.

Conclusion

Par rapport à d’autres sujets tels que la structure des capitaux ou la politique des dividendes (étroitement liées à la stratégie de croissance de l’entreprise), la rémunération peut paraître secondaire. Nous sommes cependant convaincus que la mise en œuvre conséquente d’un système de rémunération équilibré représente un facteur de réussite stratégique pour l’entreprise.

Le nouvel environnement réglementaire pose des exigences élevées aux parties prenantes. La préparation des points de l’ordre du jour concernant le «say-on-pay» – c’est-à-dire l’élaboration d’un rapport de rémunération informatif, des documents et de l’argumentation des demandes aux actionnaires – exige énormément de travail de la part du conseil d’administration et de la direction de sociétés cotées en Bourse. Les entreprises peuvent néanmoins profiter d’une approche globale, c’est-à-dire de la collaboration à un stade précoce des ressources humaines, des services juridique et financier et du conseil d’administration. Un système «say-on-pay» efficace se base sur une gestion d’entreprise axée sur la valeur et se reflète dans le «value reporting». Le management, les actionnaires et autres groupes d’intérêt partagent ainsi une conception uniforme des facteurs de réussite et des défis de l’entreprise. Ce consensus permet au final de prendre de meilleures décisions qui créent de la valeur ajoutée.

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Director People and Organisation and Leader New world. New skills., PwC Switzerland

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