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Actifs cryptographiques


David Baur
Director and Leader Accounting Consulting Services

Actuellement, ni les IFRS ni le Code suisse des obligations ne prévoient de directives spécifiques concernant la comptabilité des cryptomonnaies. Les préparateurs doivent analyser les motifs commerciaux qui justifient la détention de cryptomonnaies et suivre les principes contenus dans les normes pour déterminer le traitement comptable adéquat.

Il y a une année seulement, en décembre 2017, un bitcoin valait environ USD 20 000. Depuis, la valeur du bitcoin et de bien d’autres cryptomonnaies a chuté drastiquement. Tandis que certains observateurs considèrent que cette perte de valeur des principales cryptomonnaies sonne le glas de toutes les cryptomonnaies, d’autres sont convaincus que nous ne sommes qu’au début d’une ère jalonnée par des évolutions majeures pour les actifs cryptographiques basés sur la technologie des registres distribués.


Classification

Il n’y a pour l’heure pas de définition légale des actifs cryptographiques. D’une manière générale, les actifs cryptographiques sont des représentations numériques transférables conçues de telle sorte qu’on ne peut pas les copier ou les dupliquer. Les actifs cryptographiques, ainsi que la technologie de la blockchain sur laquelle ils sont basés, offrent des possibilités de numériser une grande variété d’objets du « monde réel ». Il existe différents types d’actifs cryptographiques, le plus connu étant les cryptomonnaies. Celles-ci sont utilisées principalement comme moyen d’échange et ont quelques caractéristiques communes avec les monnaies traditionnelles. Les cryptomonnaies les plus connues sont le bitcoin, le XRP et l’ether.

À des fins comptables, on classe habituellement les actifs cryptographiques par catégorie en fonction de leur similarité, chaque catégorie étant soumise à des règles de comptabilité similaires. Les deux caractéristiques les plus pertinentes sur lesquelles se fonde la classification des actifs cryptographiques à des fins comptables sont les suivantes :

  • la finalité première de l’actif et
  • la détermination de la valeur intrinsèque de l’actif.

Il est possible, sur la base de ces caractéristiques, de définir les quatre sous-catégories d’actifs suivantes :

Sous-catégorie Finalité Valeur intrinsèque
Cryptomonnaie Les cryptomonnaies sont des jetons ou pièces de monnaie numériques basés sur la technologie de la blockchain, comme le bitcoin par exemple. Actuellement, ces cryptomonnaies fonctionnent indépendamment d’une banque centrale et font office de moyen d’échange. Aucune – sa valeur provient de l’offre et de la demande.
Jeton adossé à des actifs Un jeton adossé à des actifs est un jeton numérique basé sur la technologie de la blockchain, dont la valeur provient de quelque chose qui n’existe pas dans la blockchain, mais plutôt qui symbolise la possession d’un actif physique (par exemple, ressources naturelles telles que l’or ou le pétrole). Sa valeur provient de l’actif sous-jacent..
Utility token Les utility tokens sont des jetons numériques basés sur la technologie de la blockchain qui donnent aux utilisateurs accès à un produit ou un service et dont la valeur provient de ce droit-là. Les utility tokens ne confèrent à leurs détenteurs aucun droit de propriété sur la plateforme ou les actifs de l’entreprise. En outre, bien que les utility tokens puissent être échangés entre leurs détenteurs, ils ne sont pas utilisés en premier lieu comme un moyen d’échange. La valeur provient de la demande pour le service ou produit de l’émetteur.
Security token Les security tokens sont des jetons numériques basés sur la technologie de la blockchain dont la nature est similaire à celle des titres traditionnels. Ils peuvent conférer un droit de participation économique dans une entité juridique : il peut s’agir parfois du droit de recevoir des liquidités ou un autre actif financier, sur une base discrétionnaire ou obligatoire ; il peut s’agir aussi du droit de vote dans le cadre de décisions d’entreprise et/ou d’un intérêt résiduel dans l’entité. La valeur provient du succès de l’entité, étant donné que le détenteur du jeton a une part dans les bénéfices futurs ou reçoit des liquidités ou un autre actif financier.

Traitement IFRS

Il n’existe, dans les IFRS, aucune norme qui traite spécifiquement la comptabilité des actifs cryptographiques. En juillet 2018, l’IASB a demandé au Comité d’interprétation IFRS d’analyser comment une entité pourrait appliquer les normes IFRS existantes à la comptabilité des cryptomonnaies. Le Comité est arrivé à la conclusion que les cryptomonnaies ne remplissent pas les critères qui définissent les liquidités ou un équivalent aux liquidités. En effet, il manque aux cryptomonnaies certaines caractéristiques propres aux liquidités : elles n’ont pas cours légal et, généralement, ne sont garanties par aucun État. Même si elles sont acceptées comme moyen de paiement pour des biens et des services, elles ne sont pas directement liées à la détermination des prix des biens ou services dans une économie. Les cryptomonnaies ne peuvent pas, non plus, être considérées comme un actif financier (autre que les liquidités) car, typiquement, elles ne donnent au détenteur aucun droit contractuel de recevoir des liquidités ou un autre actif financier. Autre élément à prendre en compte : leur existence n’est pas le résultat d’une relation contractuelle.

Les entités qui utilisent les cryptomonnaies dans le cadre de leurs activités commerciales ordinaires appliquent probablement la norme IAS 2 Stocks. Si l’entité détermine, sur la base de son modèle commercial, que la comptabilité des stocks est appropriée, les stocks sont évalués au plus faible du coût et de la valeur nette de réalisation. Une entité qui détient des cryptomonnaies pour les vendre dans un avenir proche, générant un profit issu des fluctuations des prix ou de la marge des négociants, pourrait appliquer l’exception prévue par l’IAS 2 pour les courtiers négociants en marchandises. De telles marchandises seraient évaluées à leur juste valeur diminuée des coûts de vente, avec des modifications de la juste valeur reconnue dans le compte de résultat.

Si une cryptomonnaie ne correspond pas à la définition des stocks, elle est comptabilisée comme une immobilisation incorporelle conformément à l’IAS 38.

Le tableau ci-dessous synthétise les différentes classifications possibles et les considérations qui leur sont associées en matière d’évaluation pour les cryptomonnaies détenues par une entité : 

Norme applicable Evaluation initiale

Evaluation ultérieure

Fluctuations de la valeur comptable

Stocks (IAS 2) - autres

Coûts

Au plus faible du coût et de la valeur nette de réalisation

Fluctuations en dessus des coûts — N/A fluctuations en dessous des coûts — Compte de résultat

Stocks (IAS 2) - Exception courtiers négociants en marchandises

Coûts

Juste valeur diminuée des coûts de vente

Compte de résultat

Immobilisations incorporelles (IAS 38) — Modèle de réévaluation (choix de politique comptable, mais nécessité qu’il existe un marché actif)

Coûts

Juste valeur diminuée de tout amortissement cumulé et de toute dépréciation de valeur*

Fluctuations en dessus des coûts — Autres éléments du résultat global

Fluctuations en dessous des coûts - Compte de résultat

Immobilisations incorporelles (IAS 38) - Modèle de coût

Coûts

Coûts diminués de tout amortissement cumulé et de toute dépréciation de valeur*

Fluctuations en dessus des coûts — N/A fluctuations en dessous des coûts — Compte de résultat

* dans la plupart des cas, aucun amortissement n’est attendu pour les cryptomonnaies.

Déterminer le traitement comptable adéquat requiert donc une analyse des caractéristiques pertinentes des actifs cryptographiques autres que les cryptomonnaies. Ces actifs cryptographiques comprennent les « security tokens », les jetons adossés à des actifs et les « utility tokens ».

  • Les jetons adossés à des actifs peuvent donner au détenteur le droit à un actif sous-jacent. Ces jetons peuvent être utilisés pour transférer la propriété d’actifs sous-jacents sans les déplacer physiquement. Ils constituent un moyen d’effectuer une transaction avec l’actif sous-jacent à un coût minimal. Cela signifie que, dans ces cas-là, le traitement comptable dépendra probablement de la nature de l’actif sous-jacent et de la norme comptable pertinente.
  • Les « utility tokens » donnent généralement droit à des biens ou services futurs pour le détenteur. Ces jetons constituent un remboursement anticipé pour des biens ou services. Un remboursement anticipé pour des biens ou des services peut correspondre à la définition d’une immobilisation incorporelle, et l’IAS 38 peut s’appliquer. Lorsqu’un « utility token » ne correspond pas à la définition d’une immobilisation incorporelle, il est comptabilisé d’une manière similaire à celle des autres actifs prépayés.
  • Les « security tokens »peuvent donner au détenteur un droit à des liquidités, sur la base des bénéfices futurs de la plateforme ou d’un intérêt résiduel dans l’actif net. Ces droits peuvent être discrétionnaires ou obligatoires et peuvent être assortis d’un droit de vote permettant d’influer sur les décisions liées à la plateforme sous-jacente. Un droit contractuel à des liquidités ou à un autre actif financier peut exister dans ces circonstances, auquel cas ces « security tokens » correspondent à la définition d’un actif financier conformément à l’IFRS 9.

Les crypto-jetons qui présentent des éléments relevant de deux ou plusieurs sous-catégories requièrent une analyse complémentaire afin de déterminer le traitement comptable applicable. Les facteurs à prendre en considération incluent l’interaction des clauses contractuelles, ainsi que leur substance et leur pertinence dans le contexte des caractéristiques globales du jeton.

Fixation d’une norme possible

Plusieurs membres du Comité d’interprétation ont souligné que l’application de la norme IAS 38 Immobilisations incorporelles à la détention de cryptomonnaies ne permet pas d’obtenir des informations utiles. Selon eux, ni le modèle de coût ni le modèle de réévaluation – qui reconnaît des augmentations de la juste valeur dans d’autres éléments du résultat global – n’est idéal pour les cryptomonnaies. Ces membres du Comité voient les cryptomonnaies comme des investissements spéculatifs et soutiennent que c’est la juste valeur à travers le compte de résultat qui fournit les informations les plus utiles.

L’IASB a examiné un certain nombre de moyens pour traiter au mieux la comptabilité des cryptomonnaies. Les options retenues comprennent la mise en œuvre d’un projet visant à élaborer une norme spécifique, la suppression des cryptomonnaies du champ d’application de l’IAS 38 ou encore le report de toute activité de standardisation.

Lors de sa réunion de novembre 2018, l’IASB a relevé que les transactions impliquant des cryptomonnaies constituent un domaine en pleine expansion, et a aussi rappelé que, même si la détention de cryptomonnaies ne constitue actuellement pas un thème prédominant auprès des experts IFRS, elle pourrait le devenir, peut-être même dans un futur assez proche. Le Comité en a conclu que, pour l’instant, il n’y a pas lieu d’accorder aux cryptomonnaies une priorité plus élevée qu’à d’autres projets en cours d’élaboration ou encore dans le pipeline de recherche, et a décrété par conséquent de n’ajouter à l’ordre du jour aucun projet lié aux actifs cryptographiques. Il a ensuite décidé de demander au Comité d’interprétation d’examiner la publication d’une décision expliquant comment les entités devraient appliquer les normes IFRS existantes à la détention de cryptomonnaies. Une telle décision pourrait contribuer à limiter la diversité des pratiques.

Code suisse des obligations

Le traitement comptable des bitcoins – la cryptomonnaie la plus importante à l’heure actuelle – en vertu du Code suisse des obligations (CO) fait l’objet d’une Q&A publiée par EXPERTsuisse. La solution apportée dans la Q&A ne diffère guère du traitement comptable décrit plus haut conformément aux IFRS. EXPERTsuisse en a aussi conclu qu’il ne serait pas judicieux de considérer les bitcoins comme des liquidités.

Par analogie à l’argument invoqué en vertu des IFRS, la classification en tant que stocks peut être adéquate conformément au CO pour les entités (p. ex. courtiers) qui effectuent des transactions pour des montants de bitcoins conséquents dans le cadre de leur activité normale.

Contrairement aux IFRS, classer le bitcoin comme une immobilisation incorporelle n’est, en vertu du CO, pas la seule solution acceptable lorsque le classement en tant que stocks n’est pas jugé acceptable. Le bitcoin remplit les critères correspondant à une immobilisation incorporelle. Cependant, la Q&A conclut que la nature du bitcoin n’est pas celle d’une immobilisation incorporelle et qu’il est plus approprié de le traiter comme un investissement (même si le traiter comme une immobilisation incorporelle peut aussi se justifier).

Bien que le bitcoin ne corresponde pas à la définition d’un « titre négociable » (« Wertpapier »), il est possible de le classer comme un investissement pour la raison suivante. Le terme comptable « investissement » (« Wertschriften ») tel que décrit dans le Manuel suisse d’audit est plus large, incluant aussi l’or, d’autres métaux précieux et les matières premières. Par conséquent, il est considéré comme suffisamment large pour recouvrir également le bitcoin. Sur la base de ce postulat, il est judicieux de présenter le bitcoin comme un actif courant si le but est de détenir des bitcoins sur une courte période seulement, et non pas si les transactions en bitcoins font partie de l’activité ordinaire de l’entité. Il est judicieux de présenter le bitcoin comme un actif non courant si le but est de détenir un bitcoin sur une période prolongée.

Que le bitcoin soit considéré comme un investissement, un stock ou une immobilisation incorporelle, la cryptomonnaie peut être évaluée, dans les comptes établis selon le CO, soit au coût diminué de toute dépréciation de valeur, soit au prix courant observable sur un marché actif conformément à l’art. 960b. 

En résumé

En vertu des IFRS comme du Code suisse des obligations, le traitement comptable des cryptomonnaies détenues par une entité dépend du modèle commercial de l’entité. Si le modèle commercial ne permet pas une classification comme stock, la catégorie résiduelle selon le Code suisse des obligations peut être les « investissements », les fluctuations de la juste valeur étant reconnues dans le compte de résultat s’il existe un prix courant observable sur un marché actif. Pour les IFRS, la catégorie résiduelle est constituée par les immobilisations incorporelles. L’IASB n’entend pas apporter de modifications à ce niveau-là dans un avenir proche, malgré les arguments mis en avant par certains membres du Comité d’interprétation selon lesquels les modèles d’évaluation subséquente de l’IAS 38 peuvent ne pas déboucher sur des informations significatives.

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Director and Leader Corporate Reporting Services, PwC Switzerland

Tel : +41 58 792 26 54

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