Gros plan : Conseil aujourd’hui, équipe demain

Plus que de simples directives internes


Bruno Rossi
Associé Audit, PwC Suisse

La performance du conseil d’administration (CA) en tant qu’organe suprême de direction et de contrôle suscite toujours plus d’intérêt auprès du public – en particulier sa responsabilité lorsque les choses vont mal. Cependant, les exigences à l’égard d’un conseil d’administration vont bien au-delà de simples directives en matière de gouvernement d’entreprise. Pour un conseil d’administration hautement performant, l’interaction à valeur ajoutée, basée sur le pluralisme des courants de pensée et d’opinions est aujourd’hui incontournable.

La force d’une équipe

Un conseil d’administration performant aborde tous les thèmes pertinents pour l’entreprise sans tabou et selon des perspectives très diverses et ce, à l’avantage de l’entreprise et non des membres du CA. Le président du conseil d’administration doit donc veiller

  • à ce que des avis différents soient représentés, autrement dit, qu’il existe une réelle di-versité des opinions ;
  • à faire valoir les compétences décisionnelles. À cet effet, les membres de l’organe doi-vent être prêts à prendre des décisions rapidement et à s’y tenir ;
  • à ce que toutes les opinions, indépendamment de la personne et de la position, soient entendues de manière démocratique ;
  • à éviter le phénomène de la pensée de groupe (voir encadré).

La pensée de groupe : un mécanisme dysfonctionnel

La pensée de groupe (pensée groupale, pensée moutonnière) désigne un processus social par le biais duquel un groupe de personnes compétentes prennent de mauvaises décisions ou des décisions irrationnelles, car chacun adapte son opinion à ce qu’il croit être le consensus du groupe, ou au point de vue d’un membre dominant (appelé aussi HiPPO - Highest Paid Person in the Office). On peut ainsi assister à l’émergence de compromis ou d’actes que chacun des membres du cercle, pris indépendamment, aurait en fait refusé. La pensée de groupe est à l’origine de la plupart des crises et mauvaises décisions. La dynamique de groupe est en effet faussée dans un tel cas de figure, ce qui conduit à prendre des décisions erronées.

Des personnes aux expériences et compétences différentes peuvent approfondir des questions stratégiques de manière globale et parvenir à une vision holistique des opportunités et des risques. En revanche, les groupes homogènes ont tendance à moins se défier mutuellement et à prendre à la hâte des décisions convenant au plus grand nombre. Pour être performant, le conseil d’administration a donc besoin d’une atmosphère propice à des échanges ouverts. Cela implique notamment d’aborder positivement les sujets sensibles, de mettre les vrais pro-blèmes sur la table et d’autoriser l’expression d’avis divergents. Ce n’est qu’à cette condition que le CA pourra prendre efficacement des décisions, et s’y tenir.

Le nouveau gouvernement d’entreprise

Pour qu’un organe de direction soit efficace, le respect des directives légales n’est pas suffi-sant. Une approche novatrice est réellement nécessaire, pouvant capitaliser le potentiel de diversité au sein de l’organe suprême au profit de l’entreprise (cf. l’article «Les formes de la diversité», de Bruno Rossi). Outre la diversité en tant que telle, il est également important d’élire des femmes à la fonction influente de membre du CA. Malheureusement, c’est encore rarement le cas aujourd’hui.[1] C’est pourquoi nous parlons d’un nouveau gouvernement d’entreprise.

La diversité permet de doter un comité directeur de senseurs dans toutes les directions : mar-ché et groupes cibles, direction et cadres, collaborateurs et talents, produits et services, déve-loppements et tendances, technologies et outils, ainsi que risques et opportunités. Les conseils d’administration ne doivent donc pas s’enfermer dans leur tour d’ivoire ou déléguer leur res-ponsabilité à l’égard de l’entreprise à leur président et au vice-président ; cette responsabilité incombe personnellement à chaque membre du conseil.

Ainsi, le thème de la culture d’entreprise et de conduite a récemment fait l’objet de toutes les attentions, notamment en raison du débat #metoo. Comme l’a montré la « PwC’s 2018 Annual Corporate Directors Survey » , la culture devient un thème toujours plus important (parfois explosif) de l’ordre du jour des CA. Un débat abstrait sur la culture est cependant quelque peu réducteur. Tous les membres du CA doivent s’informer en détail sur la manière dont la culture est présentée et vécue réellement dans leur entreprise et sur les mesures correctives éventuel-lement nécessaires. Le nouveau gouvernement d’entreprise exige donc un ancrage dans l’entreprise et une conception propre du conseil d’administration, selon laquelle ce dernier s’entend – et agit – comme l’organe suprême de l’entreprise.

[1] Une étude récente montre ainsi que seulement 21 % des NCC et 18 % des AC des entreprises Fortune 500 sont dirigés par des femmes (Kimberly A. Whithler et Deborah A Henretta, « Why the influence of women on boards still lags », MIT Sloan Management Review, printemps 2018). 

Équilibre dynamique

La relation entre le conseil d’administration et la direction se caractérise par une ambivalence tout à fait unique en son genre. D’un côté, le conseil d’administration constitue la haute ins-tance de contrôle et de surveillance et supervise, en tant que tel, l’activité opérationnelle de la direction. De l’autre, il doit collaborer activement avec la direction pour trouver, ensemble, des solutions permettant de piloter efficacement l’entreprise, dans les bonnes comme dans les mauvaises périodes. À cet effet, il est donc crucial d’instaurer un climat de confiance permet-tant aux deux parties de travailler en partenariat.

Un tel équilibre n’est d’ailleurs aucunement statique – et loin d’être aisé à maintenir. En fonc-tion des effectifs, de la situation économique et de l’orientation entrepreneuriale, le conseil d’administration et la direction évolueront ainsi de manière plus ou moins parallèle.

Administration parfaite, direction solide

L’objectif doit toujours être de s’améliorer. Mais comment ? Telle est bien la question. Une évaluation approfondie et objective du conseil d’administration et de ses comités peut renfor-cer l’efficacité et l’efficience de leur travail. Il est toutefois important de distinguer entre un assessment et une évaluation du CA. L’assessment du CA a pour objectif d’évaluer la qualité des différents membres du CA. L’étude PwC susmentionnée montre ainsi qu’un membre de CA interrogé sur deux souhaite un changement de personnel au sein de l’organe de direction suprême. Dans une évaluation du CA, le conseil d’administration et/ou ses comités sont éva-lués en tant qu’équipe. Aucune appréciation individuelle n’est formulée au sujet des membres le composant. La présente contribution porte essentiellement sur l’évaluation du CA.

Pour une évaluation complète d’un CA, une procédure en cinq étapes est recommandée.

1. L’autoévaluation

L’évaluation globale du conseil d’administration et de la direction commence par une autoéva-luation, de préférence en ligne, via un questionnaire anonymisé. Elle a pour objectif d’évaluer tant le comportement que les processus des membres du conseil d’administration, du comité d’audit de même que du comité de nomination et de gouvernance d’entreprise (Nomination and Corporate Governance Committee). Le questionnaire porte sur les principaux aspects de la dynamique au sein du conseil d’administration. Ces aspects sont notamment la stratégie, le mode de fonctionnement, les compétences et les connaissances, le réseau relationnel, la dy-namique et la culture de réunion, la composition, le flux d’informations, la qualité et le temps de préparation des documents, la performance ainsi que la gestion des risques. Le question-naire soutient le conseil d’administration dans sa démarche d’autoréflexion. Il lui indique les aspects à surveiller particulièrement et à garder en point de mire. Si l’autoévaluation du CA est effectuée par un tiers, elle peut être comparée à un benchmark approprié, qui représente un point de référence utile. Un questionnaire standardisé et des conseils utiles sur l’autoévaluation sont disponibles ici.

2. Les entretiens individuels

Sur base du questionnaire, des entretiens individuels approfondis sont menés avec tous les membres du conseil d’administration et certains membres choisis de la direction. Les lignes directrices de cet échange sont adaptées au cas par cas. Ces entretiens permettent d’approfondir des thèmes sensibles ou des points critiques ayant déjà été évoqués. À ce stade, l’objectif est d’identifier les raisons à l’origine d’éventuelles évaluations négatives dans le questionnaire et de vérifier s’il s’agit de cas isolés ou de phénomènes de groupe. Quoi qu’il en soit, ces échanges personnels devraient permettre d’aller au fond des choses et de lire entre les lignes.

3. La participation à des réunions

La participation d’un expert externe à une ou plusieurs réunions du conseil d’administration est une option intéressante, car elle constitue une source d’information supplémentaire, per-mettant ensuite d’obtenir une vision claire du conseil d’administration. C’est en effet dans des situations de travail réelles, en prise avec le quotidien, que la dynamique, les différents com-portements et la constellation du pouvoir ressortiront le mieux. La participation d’un spécia-liste externe élargit également la perception que le conseil d’administration a de lui-même, par l’apport d’un regard extérieur objectif. Il n’est d’ailleurs pas rare de constater l’existence d’un véritable fossé entre ces deux perceptions. Et souvent, le seul fait d’en parler représente déjà un précieux enrichissement pour le CA.

4. Le rapport

Les résultats issus des étapes précédentes sont ensuite traités, puis présentés de manière compréhensible dans un rapport exhaustif . Les principales conclusions seront structurées selon les thèmes suivants : taille du conseil d’administration, réunions, comités, président du conseil d’administration, performance, composition, collaboration entre le conseil d’administration et la direction, gestion des parties prenantes, compétences et formation con-tinue, bases éthiques, diversité, de même que gestion des risques et des crises.

Le rapport contient également une série d’activités qui aideront la direction de l’entreprise à éliminer les points faibles et à améliorer son efficacité. À cet égard, des thèmes spécifiques sont abordés, tels que la nécessité de renforcer l’expérience et les connaissances dans des do-maines comme la cybercriminalité ou la numérisation[1].

[1] Une étude récente montre que certains thèmes tels que les tendances technologiques, l’innovation et la cybersécurité sont largement sous-représentés dans la discussion sur le CA (J. Yo-Jud Cheng, Boris Groysberg, « Innovation should be a top priority for boards – so why isn’t it », HRB, 21 sept. 2018) 

Figure 1 : Les conclusions de l’assessment doivent contenir des éléments positifs et négatifs.

5. Les meilleures pratiques

Afin de concrétiser le besoin d’action fondamental, le rapport propose des outils de meilleures pratiques. Ces outils sont basés sur des expériences tirées de la recherche, sur une expérience pratique de longue date des conseils d’administration en Suisse et à l’étranger ainsi que sur plusieurs années d’expérience dans le domaine de l’évaluation de CA. Le chapitre du rapport relatif aux meilleures pratiques présente des procédures et des modèles éprouvés. Il peut s’agir de modèles de conduite fructueux, d’enquêtes régulières[2], d’applications dédiées et d’autres supports pratiques. Ainsi, les meilleures pratiques aident le conseil d’administration à définir son rôle dans le cadre de la fixation de l’agenda stratégique[3], à contrôler régulièrement sa per-formance et à organiser efficacement les réunions.

[2] « Executive Compensation & Corporate Governance », Insights 2018 (Part 3)

[3] Roger Martin, « The Board’s role in strategy », HBR, 28 déc. 2018

Procédure en cinq étapes pour une évaluation complète d’un conseil d’administration

Exigeant, mais intéressant

L’évaluation du conseil d’administration et de ses comités est primordiale pour l’amélioration continue du travail de conduite stratégique. Elle sera idéalement réalisée par un spécialiste extérieur, afin que les réponses soient les plus ouvertes possibles et que l’évaluation se déroule sans préjugé. L’exemple de Sunrise (cf. « L’évaluation régulière du conseil d’administration, l’un des outils d’un bon gouvernement d’entreprise », entretien avec Peter Kurer, président du Conseil d’administration de Sunrise Communications AG) montre qu’une évaluation menée de manière professionnelle offre un aperçu détaillé du fonctionnement et de l’interaction au sein d’un conseil d’administration et lui offre ainsi une réelle valeur ajoutée.

Pour aller plus loin

Des informations et des outils d’aide supplémentaires sur le thème sont disponibles ici :

  • Boardroom Community App de PwC: > en savoir plus
  • Etude «The evolving boardroom – PwC’s 2018 Annual Corporate Directors Survey»: > en savoir plus
  • Lignes directrices pour une appréciation efficace du conseil d’administration: > en savoir plus

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Bruno Rossi

Bruno Rossi

Assurance Partner, PwC Switzerland

Tel : +41 58 792 59 75

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