Gros plan : la diversité au sein des conseils d’administration

Les formes de la diversité
 

Bruno Rossi
Associé, division Audit, PwC Suisse

Gros plan : la diversité du conseil d'administration

Les formes de la diversité


Bruno Rossi

Partner, Assurance, PwC Switzerland

L’exigence d’une plus grande diversité au sein des conseils d’administration se fait de plus en plus pressante, jusqu’à déclencher une nouvelle vague d’émancipation, qui va bien au-delà de la question de l’égalité des sexes. L’appartenance ethnique, l’âge, la qualification, l’expérience professionnelle et les compétences émotionnelles sont en jeu. 

Il est un fait que les entreprises dont la gestion stratégique est diversifiée sont performantes et proactives. Les présidents des conseils d’administration et les autres membres de ces organes ont donc tout intérêt à prendre au sérieux cette exigence de diversité – et à la mettre en œuvre de manière ciblée.


La diversité est sur toutes les lèvres – même si ce n’est pas toujours entièrement spontané, car dans de nombreux pays, la loi prescrit des quotas ou valeurs de référence. La Norvège a été ainsi le premier pays européen à introduire un quota de femmes. Des dispositions similaires existent depuis plus de cinq ans en Autriche, en Belgique, au Danemark, en Espagne, en Finlande, en France, en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal et en Slovénie. Ces pays prévoient des quotas de femmes compris entre 30 % et 40 %, selon la forme de l’entreprise (publique ou privée) et des critères tels que le nombre d’employés, le chiffre d’affaires et la cotation boursière. Par ailleurs, les valeurs minimales requises pour les conseils d’administration ou de surveillance diffèrent souvent de celles en vigueur pour les directions d’entreprise. Une réglementation plus récente existe en Allemagne, depuis le 1er janvier 2016, avec l’adoption de la loi sur la participation égale des femmes et des hommes aux postes de direction. Cette loi fixe à 30 % la proportion de femmes dans les conseils de surveillance des sociétés cotées en Bourse.

La proportion de femmes occupant des postes de direction est plus élevée qu’en Suisse dans les pays susmentionnés (cf. illustrations 1 et 2). Les données comparatives varient en fonction de la composition des entreprises analysées, mais donnent une bonne vue d’ensemble de la situation. En général, la proportion de femmes aux postes de direction est nettement plus faible qu’au sein des conseils d’administration.

Taux de femmes occupant des postes de direction dans certains pays d’Europe en 2017

Figure 1 : Femmes occupant des postes de direction dans certains pays d’Europe

Source : https://de.statista.com/infografik/15519/frauen-in-fuehrungspositionen-im-eu-vergleich/ [Hors Norvège et Suisse. Source : European Women on Boards (Statista 2018)]

 

Figure 2 : Pourcentage de femmes dans les conseils d’administration suisses 

Source : https://www.handelszeitung.ch/management/so-weiblich-sind-schweizer-verwaltungsrate#

Les États-Unis créent des faits

Aux États-Unis, la diversité est depuis longtemps un sujet d’une actualité brûlante. Ainsi, State Street Global Advisors, troisième gestionnaire d’actifs au monde, refuse systématiquement de collaborer avec des entreprises qui n’ont pas amélioré la diversité des sexes au cours de l’année sous revue. Cette entreprise a par exemple annoncé qu’à partir de 2020, elle entendait s’insurger également au Royaume-Uni et en Australie et, à partir de 2021, au Japon, au Canada et en Europe contre les conseils d’administration qui ne comptent pas au moins une femme dans leurs rangs et dont les sociétés ne sont pas prêtes à engager un dialogue sur la diversité.

En septembre 2018, l’État de Californie a promulgué une loi exigeant qu’une femme siège impérativement au conseil d’administration de toute société cotée en Californie. À partir de 2021, les conseils d’administration de cinq membres devront compter au moins deux femmes, et les conseils de six membres au moins trois femmes. Quiconque contrevient à cette loi se verra imposer une amende de 100 000 USD ou plus.

Plus que la somme des parties

La diversité peut prendre diverses formes – comme le terme l’exprime déjà : une richesse d’espèces et de formes qui s’épanouissent. Il serait donc inapproprié de réduire la diversité à une question purement sexospécifique. Elle comprend également le bagage culturel, l’âge, l’éducation, l’expérience professionnelle, l’ancienneté ou le mode de pensée. Bien qu’il soit plus facile de diriger un organe composé de personnes partageant les mêmes idées, ces caractéristiques ajoutent de la valeur au travail de l’organe et donc à l’entreprise dans son ensemble. Car :

  • la diversité exprime le pluralisme de la culture régnant au CA,
  • la diversité ouvre la voie à de nouvelles façons de voir les choses et de penser, et sensibilise les membres de cet organe à mieux saisir les nuances et les subtilités,
  • la diversité empêche la pensée de groupe (cf. l’article « Plus que de simples directives internes » de Sarah Kane),
  • la diversité favorise un dialogue ouvert et une culture du débat constructive,
  • la diversité accroît l’efficacité de la collaboration,
  • la diversité reflète l’hétérogénéité des marchés, des groupes cibles et des collaborateurs,
  • la diversité renforce la perception par le public.

Les membres de conseils d’administration eux-mêmes évaluent l’importance entrepreneuriale de la diversité et de ses aspects de diverses façons. La diversité des genres fait partie des facteurs clés. Ce n’est donc pas un hasard si elle a gagné en importance dans les organes de direction au cours des dernières années (cf. illustration 3), et qu’elle figure en tête de l’agenda de nombreuses entreprises.

La diversité des genres gagne en importance

(% opinions sur le fait que la diversité des genres soit très importante)

Figure 3 : La diversité des genres gagne en importance

 

Il est intéressant de noter que les opinions des administratrices sur les aspects de la diversité divergent souvent fortement de celles de leurs collègues masculins. Les femmes accordent généralement beaucoup plus d’importance que les hommes à la diversité des genres au sein du conseil. D’autres aspects de la diversité tels que l’âge, et le milieu culturel ou social sont également plus importants pour l’entreprise, selon elles, que selon leurs homologues masculins (cf. illustration 4).

 

Figure 4 : Les hommes et les femmes évaluent différemment les critères de diversité.

 

Dans l’ensemble, les femmes accordent plus d’importance à la diversité que les hommes, et sont persuadées que celle-ci a un impact significatif sur le travail du conseil d’administration. 82 % des femmes siégeant dans un conseil d’administration estiment que la diversité influe sur la performance de l’entreprise, contre seulement 54 % des hommes (voir illustration 5).

 

Figure 5 : La diversité est plus importante aux yeux des administratrices que de leurs homologues masculins.

Lanterne rouge, la Suisse commence à rattraper son retard

En comparaison internationale, la Suisse est nettement à la traîne en matière de diversité des genres. Bien que l’égalité des sexes soit ancrée dans la Constitution, seuls 16 % de femmes siègent aux conseils d’administration des cent plus grandes entreprises suisses. Et dans les directions d’entreprise, la proportion de femmes est même seulement de 6 %.

La Suisse est également l’un des rares pays d’Europe à ne pas avoir de dispositions réglementaires sur le sujet. Du moins jusqu’à l’heure actuelle, mais cela pourrait bientôt changer. En juin 2018, dans le cadre de la révision du droit de la société anonyme, le Conseil national a fini par opter, à une très faible majorité, pour une variante édulcorée de la promotion des femmes. Il s’est en effet prononcé en faveur de l’application de seuils de représentation des sexes pour les conseils d’administration et les directions des sociétés cotées en Bourse comptant plus de 250 employés. Au terme d’une période de transition, les conseils d’administration devront donc compter au minimum 30 % de femmes et les directions 20 %. Le législateur ne prévoit pas de sanctions en cas de non-respect de ces proportions, mais les sociétés devront, dans leur rapport sur le gouvernement d’entreprise, en exposer les raisons de même que les mesures prévues pour y remédier. Actuellement, le dossier est entre les mains de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats.

Bonne nouvelle : les conseils d’administration suisses ne restent pas inactifs en ce qui concerne la diversité et la proportion de femmes. En septembre 2018, la Handelszeitung a publié une étude portant sur 180 entreprises, dont les 150 plus grandes sociétés cotées en Bourse et les 30 premiers employeurs non cotés. Selon cette enquête, un cinquième des membres des conseils d’administration sont aujourd’hui des femmes. La proportion de femmes dans les conseils d’administration nouvellement élus est passée de 28 % en 2017 à 37 % en 2018.

La situation est tout aussi positive chez les sociétés du SMI, où la proportion de femmes siégeant dans des conseils d’administration est passée à 24 % ces dernières années. L’association d’actionnaires Actares se réjouit de constater que les femmes représentent désormais la moitié des nominations aux sièges vacants de conseil d’administration. Actuellement, six des 20 sociétés du SMI remplissent le quota de 30 % de femmes au sein du conseil d’administration exigé par le Parlement.

Partir sur de bonnes bases

La diversité au plus haut niveau du management est précieuse pour l’entreprise. Mais introduire davantage de diversité au sein du conseil d’administration ne revient pas seulement à débattre du pourcentage de femmes. La phase dans laquelle se trouve l’organisation peut fournir des pistes pour assurer une combinaison optimale des compétences. Si une société vise, par exemple, une croissance inorganique, il pourra être judicieux de faire appel à des experts en matière de fusions et d’acquisitions. Pour celles qui se trouvent dans une phase de redressement, des connaissances en gestion du changement et en restructuration sont importantes. Si la prospection de nouveaux marchés, l’acquisition de nouveaux clients ou l’implantation d’une organisation de vente sur un nouveau continent sont à l’ordre du jour, les administrateurs jouissant d’une expérience géoculturelle et interculturelle seront un atout. Et enfin, s’il s’agit d’établir un modèle d’affaires basé sur les nouvelles technologies, il faudra rechercher une certaine affinité et des connaissances en cyberespace, cryptomonnaies, etc.

Une entreprise désireuse d’accroître à long terme l’égalité entre les sexes a besoin d’un vivier de talents bien fourni, qui permette, par exemple, à un nombre suffisant de femmes de gravir les échelons hiérarchiques. Pour cela, il faut des structures qui tiennent compte de l’orientation et de la vitesse de carrière des femmes ayant des aspirations à la fois familiales et professionnelles. De même qu’une politique du personnel efficace.

En résumé

La diversité est un thème clé aux implications à la fois économiques et sociales. Elle renforce la performance du conseil d’administration et donc de l’entreprise dans son ensemble. L’appel du public et des régulateurs à une plus grande diversité contraint les conseils d’administration à réfléchir à leur position, à jeter des fondements et à inviter la direction à prendre des mesures efficaces. Dans le cadre de cette discussion, une entreprise doit déterminer comment elle parviendra à attirer les meilleurs cadres et à les fidéliser. Ce processus demande beaucoup de temps, notamment pour comprendre que la diversité est un enrichissement. Du temps aussi pour prendre des décisions et créer les structures appropriées, ainsi que pour ancrer des mesures opérationnelles et des modèles de travail. En ce sens, la diversité est un point stratégique, voire intergénérationnel, figurant en permanence à l’ordre du jour des conseils d’administration, et qui doit être traité indépendamment de seuils de représentation et de quotas.

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Bruno Rossi

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